Un petit homme s’installe à une table…

Seb avait marché prestement jusqu’à la taverne, car son teint d’ordinaire verdâtre (à cause d’une cirrhose chronique), tournait maintenant au vert pâle, voir même très pâle… Il entra et s’assit à une table sans voir ceux et ce qui l’entourait… Il était trop faible. Son choix se porta donc sur un verre de vin rouge, préliminaire à son repas… Il dit :

Ola aubergiste, peux-tu te faire aimable et me porter prestement un carafon de vin de Bordeaux ? Donnes-moi, je t’en prie, de ce vin rouge qui fortifie le corps, car le mien est en ce moment en perdition… Ensuite, je mangerai, mais il me faut d’abords retrouver mon corps, et donc mes esprits…

Claudicus en bonne tavernière qu'elle était surgit devant la table de son client.
Mais pourquoi ce diable d'homme n'était-il pas venu s'installer dans la taverne principale, là où elle tronait derrière son comptoir?
Bah le client est roi et celui-ci (ma foi fort étrange) avait choisi l'arrière boutique.

Elle le dévisagea un moment et pensa en tant que guérisseuse qu'il n'avait pas le teint très pur.
Sur qu'il ne buvait pas que du lait.
Mais elle lui apporta tout de même son vin de bordeaux et lui dit :

-- Voilà Messire, mon meilleur bordeaux, je le réservais pour vous.
Dès que vous voudrez manger, appelez-moi, je suis là pour vous servir.
Et s'il vous en dit, en ce moment nous célébrons Samhain à la clairière.

Dame! Encore vous! Quelle joie de voir que vous ne m'avez pas seulement suivi, en fait vous m'avez devancé! La hasard fait donc bien les choses parfois! Je vous suivrai volontier à la fête, mais dites moi d'abords:

Seb, que la grosse rasade de vin qu'il venait de boire et l'avait ravigorni, plongea ses petits yeux vitreux dans les siens:

Qui êtes-vous? Un guide? Une tavernière? Ou une prêtresse? Et aussi, quel est votre nom? Dites-moi celui que l'on vous a donné à la naissance et celui que l'on vous donne en ce jour?

Attention pour nous prêtresses d'Avalon, Samhain n'est pas seulement une fête mais bien plus une fête sacrée par laquelle nous communiquons avec la Déesse.

Qui suis-je ?

Et bien je suis une des prêtresses de l'île d'Avalon, au service de la Déesse.
Je suis également amazone (ordre de la Dame blanche à l'écu vert) guérisseuse et sage femme.

J'enseigne à l'école de médecine des amazones et aussi ici.

Je m'appelle Claudicus cela a toujours été mon nom même quand je n'étais pas encore sacrée par la Déesse.
je suis tavernière de l île.
et encore bien d'autres choses mais assez parlé de moi.

Voulez-vous que je vous apporte du sanglier rôti dans une sauce grand veneur ?

Hé hé, je vois que vous savez prendre les invités par les sentiments... Auriez-vous aussi des dons de voyances? Le sanglier est un de mes mets préféré, mais je n'en mange que rarement... Surtout sur la route. Alors, volontiers j'en prendrai une part avant d'aller à la fête.

Par ailleurs, je suis un peu déçu que vous ne vouliez plus me parler de vous, car je suis d'abords ici pour écouter et apprendre. Non pour prêcher, convaincre ou même parler.

Seb prit un air très sérieux. Il était encore plus laid car les rides se marquaient en profonds sillons sur son visage quand il fronçait les sourcils. Il dit:

Que faites-vous en ce lieu? Vous êtes médecin, herboriste, pédagogue, femme de foi, le monde aurait tant besoin d'une érudite comme vous... Quel mal vous force à vous cacher en ce lieu? Racontez-moi l’histoire d’Avalon, la votre et celles de toutes les autres prêtresses…

Claudicus apporta une large part de sanglier accompagné de fèves et différents légumes cuisinés.
Sans le demander, elle resservit son client en vin car elle se doutait qu'il avait bien soif.
Ensuite sans façon, elle s'installa à la table en face de lui et le regarda attentivement.
Il avait l'air très fatigué et elle se dit qu'elle allait faire court.

Et bien au départ, les prêtresses faisaient partie de l'ordre des amazones et étaient toutes guérisseuses.
Petit à petit, les pressions de l'église aristotélicienne se sont faites menaçantes vis à vis de leur religion.
Elles ont tenus longtemps, courageusement, mais les soeurs amazones qui étaient guerrières ou diplomates étaient aussi en danger que les prêtresses.
Donc nous avons détruit le temple des prêtresses amazones et l'avons reconstruit ici sur notre belle île.
Par contre nous restons chez les amazones comme guérisseuses et prenons part à la ligue activement.
Mais l'ordre est devenu laÏque.

Mais dites-moi, pourquoi toutes ces questions, vous m'intriguez.
ëtes-vous un ami ou un adversaire?
Comment avez-vous connu notre île ?

Elle s'arrêta de peur d'en avoir trop dit.

Seb dégustait le sanglier avec plaisir, il n'en avait jamais mangé d’aussi goûtu, et le vin se mélangeait subtilement au parfum rôti de la viande… Il dit entre deux bouchées :

Dame Claudicus, si j’étais vraiment un adversaire, croyez-vous que j’accepterais votre bonne pitance avec le sourire ? Pour ensuite vous trahir ? Je ne sais quelle humanité vous avez fréquenté avant de venir en cette île, mais assurément, je ne suis pas de celle là !

Seb repris une fourchée de sanglier qu’il avala d’une traite ! Il poursuivit :

Donc je ne suis pas un ennemi ! Car si j’en étais, je me serais présenté comme tel… Suis-je un ami ? C’est à vous de m’en octroyer le titre, l’amitié se mérite, et à part apprécier votre sanglier et votre vin, il n’y point beaucoup d’autres qualité que j’ai pu vous montrer !

Le petit homme sourit en achevant sa phrase, il avait des petits morceaux de fèves entre les dents, ce qui le rendait un peu ridicule mais lui donnait aussi un aspect enfantin…

Comme je me le remémorais au bord du lac, c’est en fouillant les vieux manuscrits du château de Beau Teint que j’ai découvert Avalon, sans savoir si l’endroit existait vraiment. C’est tout… Pour le reste, j’ai un lopin de terre à Dié, près de Lyon, je cultive du maïs… Ma vie ? Mes parents aimaient fort plus le vin que moi… Et mon père est mort trop tôt… Ma mère aussi d'ailleurs... Le vin, j’y ai cherché la vérité presque toute ma vie… Et puis, il y eu « le massacre » de la Cour des miracles…

Les yeux de Seb rougirent, il dit d’une voix colérique :

Une boucherie, vous voulez dire !!! Alors là j’ai compris, oui, j’ai compris qu’on nous mentait, que surtout, « notre » église nous mentait ! Heureusement je ne passais pas par là ce jour là. Mais ce jour là, tout a changé pour moi…

Seb dit d’une voie basse, comme s’il parlait à lui-même :

Curieux, c’est la première fois que je parle du « pourquoi » je suis en quête du Sens Premier… Je crois que je suis parti sans trop bien savoir pourquoi… Mais il faut être dans les ténèbres pour percevoir la lumière…

Il relava la tête vers Claudicus:

Sûrement, nous avons dut connaître et, surtout, reconnaître la même mauvaiseté en ce royaume. C’est ce qui vous a poussée à fuir, et moi ce qui m’a amené ici.

Seb se leva et pris une poignée de fèves sèches dans un sac de toile de jute, posé près du bar. Il déposa les graines sur la table devant Claudicus, de sorte qu’elles furent toutes étalées :

Regardez, toutes ces fèves séchées sont comme tant de sujets du royaume, secs, endormis, passifs… Mais un jour, le soleil brillera et l’eau de la vie s’écoulera sur eux, et ils deviendront des fleurs qui lâcheront leurs pollens, comme les hommes seront un jour libre de donner au vent leurs idées, et leurs paroles pour les porter… Alors, comment dire ? J’essaye d’être le jardinier qui cherche la terre où ces graines pousseront au soleil, avec l’eau qu’il leurs faut. Le reste, je vous le dirai plus tard, si vous le souhaitez… Evidement, nous ne savons combien germeront, et combien ne sortiront jamais de terre. c'est le temps qui nous le dira. Cela dit, vous les préparez fort bien ! Maintenant j’aimerais apprendre !

Seb se leva de table d’un bon et dit :

Je n’ai plus sommeil ! Je suis en forme ! Votre repas m’a réconforté et je vous le payerai monnaie sonnante et trébuchante le jour de mon départ ! Maintenant rejoignons la fête !

Seb sortit de la taverne et vit des feux allumés dans une clairière… Il s’en alla vers l’endroit…