Aventure et découverte ...

Le Célia fendait les flots comme jamais, poussé par une brise forte mais contrôlable : Granville aimait cette sensation de liberté, même si ses savoirs spinozistes lui enseignaient que rien n'est jamais vraiment libre ...

D'ailleurs, lorsque la brise tomba, et que la brume fit son apparition, le normand ne put que se ranger à l'avis de ses maîtres, avec une certaine délectation : la mer, cette mer qu'il aimait et redoutait à la fois, ne lui serait jamais soumise.

La vigie troubla ses divagations par un cri : "Terre !!"

Le Baron s'étonna : normalement, il devait contourner assez largement la Bretagne, pour éviter un incident diplomatique ... Le chargement de grenouilles qui l'attendait en Poitou valait beaucoup, mais pas une guerre !
A moins que la terre ne soit celle des anglois, mais la aussi, la carte semblait réprouver cet état de fait ...

Mais d'où venait donc cette terre qu'on lui annonçait ?!

Le baron donna ordre à ses hommes de mettre chaloupe à la mer, lorsque le singe, du haut de sa vigie, lui indiqua qu'un estuaire se dessinait derrière la brume de plus en plus épaisse.

Bah, on va explorer ça !
Alors armés, moussaillons, mais pas d'énervement, hein : si on tombe sur des bretons ou des anglois, faut éviter l'incident diplomatique !
Après, si y veulent se battre, ben on tranche, quoi ...

La chaloupe avança avec facilité, comme portée par un courant puissant, mais discrêt ... Le groupe de marins remonta lle fleuve, ou la rivière, difficile à juger avec les changements de profondeur et de largeur du cours d'eau, jusqu'à ce qu'une île apparaisse au milieu d'un lac, dont le bras qu'ils venaient d'emprunter allait jusqu'à la mer ...

Rory en eut le souffle coupé : la vision était magnifique, tant le brouillard tantôt dense tantôt translucide semblait habiller volontairement la masse de terre ...

Laissez-moi sur la berge, et r'tournez hors du lac : j'vais explorer tout seul ...

Aussitôt dit, aussitôt fait !

Granville s'aventura donc sur l'île, afin de savoir s'il pourrait la réclamer pour la Normandie ...

Hé ben ! T'es pas très polie, toi, m'dame, hein !
Tu pourrais t'présenter, quand même !

Bon, ben euh ...

Hum-hum ...

Je me présente : Rory de Chausey, baron de Granville, admor spinoziste de Normandie, corsaire patenté de Normandie, et aussi un peu officier royal de la Maison Ecclésiastique du Roy ...

Bon, bah j'voulais bien récupérer cette île jolie pour mon duché, mais si c'est d'jà habité, ben tant pis ...

Et toi, qui donc que t'es, la femme voilée ?...
Et pourquoi tu dors dans les bruyères, t'as pas d'maison ?...
Et elle est où, cette île, pasque normal'ment j'aurais pas dû tomber d'ssus avec mon navire, hein ?...

Rory de Chausey ! C'est ainsi que tes parents et ta tante Méliana t'ont appris les bonnes manières ?
Incline-toi devant la Grande Prêtresse d'Avalon, l'île de la Déesse ! Tu oses venir ici avec les armes à la main et sans être invité ? Comment tu as fait pour traverser les brumes ?

Hé ho !!
Ca va bien, hein : moi j'ai rien d'mandé !
Et pis les bonnes manières : j'me suis présenté avant toi, d'abord !
Tes parents t'ont pas appris les bonnes manières, à toi non plus, on dir ...



Bah !! D'où qu'tu connais Méliana, toi, hein ?!

Mais bon, enfin bref, quoi ...

Pour les armes, ben désolé, hein : j'savais pas où j'débarquais, moi !
J'pensais êt'e en Angleterre, ou pire en Bretagne, alors bon, j'allais pas v'nir avec des fleurs, quoi ...

Pis pour la brume, bah ... En naviguant ...
On a pris une barque, on a r'monté l'bras d'mer, pis on a vu l'île ... Très jolie, d'ailleurs : j'aime bien !

Pis pour m'incliner, ben c'est hors de question, hein !
J'veux bien respecter la grande prêtresse, mais bon, j'suis pas un fidèle de ton culte, alors ça va bien !

Le jeune normand, qui devenait très susceptible quand on lui parlait religion (n'avait-il pas mis un soufflet retentissant à un cardinal de Rome récemment ?...), croisa fièrement les bras sur sa poitrine, regardant droit dans le voile de la dame qui lui faisait face ...

Euh ...
Tu veux p''t-êt'e que j'te donne mes armes, maint'nant qu'j'y pense, non ?...

Rory commença donc à poser ses armes : son épée, ses dagues de corps-à-corps visibles, ses dagues de corps-à-corps dans ses bottes, ses couteaux de lancer bien équilibrés, qui se trouvaient un peu partout dans sa veste et ses braies ...

Ce faisant, le baron répondait à la jeune femme :

Bah, quand j'vais dans une église, j'vais pas prêter allégeance au curé du coin non plus, hein !

Un beau petit tas d'armes coupantes commençait donc à se former, quand l'inconnue se présenta enfin ...



M'dame Yvonne ?!
Ben ça ...

Rory se pencha un peu en avant, tentant de voir au travers du voile qui couvrait le visage de la grande prêtresse, qui l'avait autrefois aidé à mener Célia, sa fiancée, de Normandie en Alençon ...

Et puis zut : si elle le disait, c'est que ça devait être vrai !
Le spinoziste se porta à la hauteur de la dame, et la prit sans façon dans ses bras :

Ben ça m'fait bien plaisir d'te r'voir, m'dame Yvonne !

Bon, tu m'escuses pour mon crochet, hein, continua Rory en montrant le morceau de métal qui remplaçait maintenant sa main gauche perdue, mais bon, c'est pas juste une arme : ça m'sert aussi pour plein d'choses, comme t'nir mes godets !

Donc j'aim'rais bien l'garder, quoi, en fait ...

Le jeune normand laissa respirer la dame dont il avait un merveilleux souvenir, et se recula d'un pas :

Donc, c'est ici qu'tu vis ...

Bah oui, moi j'sais bien m'taire, hein !
C'est même un des trucs que j'sais mieux l'faire, d'ailleurs !
Déjà, tout p'tit, j'me taisais très bien, et ma mère Hester me félicitait souvent, même quand ...

Et Rory de babiller tout le long du chemin vers le village ...